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# Putain de grillon
L'autre jour j'ai osé partager avec des amis d'un groupe de travail un texte que j'avais écrit sur ce que le piano m'avait appris.
J'étais ce petit garçon qui a bricolé une maison en carton pour ses legos et vient la déposer dans le salon pour partager son émerveillement et sa fierté.
J'étais en même temps cet adulte qui se dit que son texte est médiocre et qui a peur de dévoiler son incompétence au monde.
Donc je poste mon petit texte, et je guette les notifications.
A l'affut, je convoque mes instincts de chasseur.
Je me tiens prêt à bondir sur mon téléphone.
Au bout de 28 secondes, je ne constate aucun like, aucun commentaire. La petite panique point le bout de son nez de fouine.
"Tu vois, personne n'a lu, personne n'a même remarqué. Je t'avais bien dit que c'était tout pourri ton truc"
"Ta gueule. Stp"
"..."
3 baffes à la fouine, et je démarre ma journée. Randonnée en montagne, je déconnecte du téléphone et des réseaux.
Fin d'après midi, je consulte mon téléphone. Et là. Damned.
Des notifications.
J'ai été lu. Commenté même.
Bagarre d'émotions. Joie et peur commencent à se mettre dessus.
Du calme svp.
Dans les échanges, je lis que mon texte et trop cérébral et que j'y occulte mes émotions.
J'acquiesce en souriant. Ben oui, dis je. "Je suis le mec qui a poussé au bout la maxime pour vivre heureux vivons cachés "
Pour vivre heureux, vivons cachés.
Sérieux?
Je me méfie des mantras qui nous habitent sans les avoir choisis. Ces tobogans de la pensée qui nous conduisent là où on n'a jamais porté la conscience.
Je sens qu'il vaut le coup d'être investigué celui-là et j'ai les moyens de le faire parler.
La moulinette de Google me livre immédiatement d'où vient cette histoire de vivre caché heureux.
Il s'appelle Jean Pierre Claris de Florian. Poète, dramaturge, élu à l'académie française.
Mort 1794 à sa sortie de prison.
C'est donc lui qui nous a légué cette maxime.
"Pour vivre heureux, vivons cachés" est la morale d'une fable qui s'appelle le grillon.
C'est l'histoire d"un pauvre petit grillon" qui vit caché dans l'herbe.
Il jalouse la vie d'un papillon qui voltige dans la prairie.
"L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs ;
L'azur, la pourpre et l'or éclataient sur ses ailes ;
Ce grillon a une piètre estime de lui.
Le papillon est "jeune, beau" "court de fleurs en fleurs,
Prenant et quittant les plus belles"
Le grillon lui se plaint de se son sort.
"Dame nature pour [le papillon] fit tout et pour moi rien
Je n'ai point de talent, encor moins de figure
nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici- bas:
autant vaudrait n'exister pas"
Autant vaudrait n'exister pas.
Comme disaient les ado il n'y pas si longtemps , il a grave le seum ce grillon.
La suite de l'histoire c'est que le grillon pleurnichard regarde le papillon jouir de la vie jusqu'au moment où une "troupe d'enfant" debarque pour attraper le papillon.
"Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper ;
L'insecte vainement cherche à leur échapper,
Il devient bientôt leur conquête.
L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps ;
Un troisième survient, et le prend par la tête :
Il ne fallait pas tant d'efforts
Pour déchirer la pauvre bête"
Et c'est là que ce con de grillon sous le choc du traumatisme fait l'apprentissage suivant:
"Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.
Combien je vais aimer ma retraite profonde !
Pour vivre heureux, vivons caché"
En lisant cette fable, je suis choqué et en colère.
Non mais oh! je ne veux pas être ce looser de grillon.
C'est complètement naze l'apprentissage qu'il fait de la mésaventure du papillon.
Il aurait pu apprendre tout autre chose et me léguer un truc plus utile.
Je ne sais pas moi,
"pour vivre heureux, méfions nous des groupes"
"pour vivre heureux, gare aux chapeaux"
ou simplement
"pour vivre heureux, volons plus haut"
J'ai mis presque 40 ans à prendre conscience qu'un grillon me parlait dans l'ombre.
J'avais un putain de grillon comme mentor.
Traquez vos mantras. Debusquez vos grillons.
Le grillon
Un pauvre petit grillon
Caché dans l'herbe fleurie
Regardait un papillon
Voltigeant dans la prairie.
L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs ;
L'azur, la pourpre et l'or éclataient sur ses ailes ;
Jeune, beau, petit maître, il court de fleurs en fleurs,
Prenant et quittant les plus belles.
Ah! disait le grillon, que son sort et le mien
Sont différents ! Dame nature
Pour lui fit tout, et pour moi rien.
je n'ai point de talent, encor moins de figure.
Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici-bas :
Autant vaudrait n'exister pas.
Comme il parlait, dans la prairie
Arrive une troupe d'enfants :
Aussitôt les voilà courants
Après ce papillon dont ils ont tous envie.
Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper ;
L'insecte vainement cherche à leur échapper,
Il devient bientôt leur conquête.
L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps ;
Un troisième survient, et le prend par la tête :
Il ne fallait pas tant d'efforts
Pour déchirer la pauvre bête.
Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché ;
Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.
Combien je vais aimer ma retraite profonde !
Pour vivre heureux, vivons caché.
Jean Pierre Claris de Florian, 1792.
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